espace kugler - espace d'exposition
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LUC MATTENBERGER

Vernissage le samedi 4 octobre à 19h

Une légère odeur de frite...

Un peu âcre, doucereuse même... Suivre ce parfum d’huile usée. Parcourir le chemin olfactif pour déchiffrer l’énigme. Parvenir à proximité des ateliers, poursuivre l’intrigue qui se dérobe. Odeur pénétrante, presque dérangeante. Surtout en ces lieux. N’est-ce pas là l’emplacement d’une galerie d’art ? On en douterait, les trente mètres carrés de l’espace Kugler, soudainement envahis de bruit et de fureur.

Elle apparaît enfin, déchirant le mystère, elle trône en plein milieu de la pièce, sur son piédestal blanc. La machine. L’origine de tout, ou presque. Depuis les grandes années de l’utopie du progrès, celle des révolutions industrielles de la fin du XVIIIe siècle, elle accompagne toutes les avancées humaines. La machine: celle qui permet nos gestes quotidiens, qui sèche nos cheveux le matin et mélange la soupe le soir, elle nous emmène sur la route du sud ou l’autoroute du nord, dans l’inévitable quatre-roues. Elle abreuve aussi le supermarché, laboure les champs et coupe le gazon. Il suffit d’un simple clic pour la mettre en marche.

L’habitude et l’omniprésence de ces objets ont ôté toute splendeur à ce qui les meut. Et plus rien ne nous y émeut. Leur mécanisme nous étant délibérément et invariablement caché. Dans Une légère odeur de frite... , Luc Mattenberger éveille à nouveau à cette beauté, trop souvent dénigrée. Soulevons le capot ! Et redécouvrons le moteur et ses rouages. Le voici présenté sur son socle, telle une pièce de musée. Serait-ce alors la relique d’un temps qui disparaît ? L’utopie industrielle n’est plus, le moteur reste. Il reste, mais il est oublié, occulté. Luc Mattenberger répare ce défaut de vision et aiguille notre regard sur cet objet sculptural. L’artiste magnifie le cylindre, fait naître le pot d’échappement, esquisse le filtre à air. Les formes apparaissent, les volumes se dessinent, dans toute leur grâce géométrique. Une indéniable magie émerge de cet objet, mystérieux et opaque pour beaucoup. Coulissements de pistons, mouvements de soupapes, déflagrations prédisant l’explosion. Deux temps, trois temps, quatre temps, c’est une valse qui nous est jouée.

La machine vit ! Elle ronronne, tousse, aboie ou gronde selon la partition du moment. Elle respire et frémit, en attente d’une mission. Qui ne sera ici que celle de se montrer dans sa nudité la plus magnifiée, telle une Vénus naissant d’un concert de pistons, émergeant d’une brume polluée, dans des senteurs de friture brûlée. Poésie et provocation chantent ici sur une même mélodie. L’artiste éveille et réveille. Pour un nuage de fumée rendu visible, combien nous empoisonnent ?

En mettant en scène une odorante pollution, alimentée par l’huile usée des restaurants du quartier, Luc Mattenberger attire notre attention sur les solutions factices apportées aux maux environnementaux. Moteur Diesel et carburant végétal sont désormais érigés en unique issue au problème des énergies fossiles. Mais qui assumerait le parfum permanent d’innombrables voitures roulant à l’huile de friture? Aux visiteurs de Une légère odeur de frite… de le dire...

Séverine Fromaigeat, 2008

Le Sac à dos à moteur (2007) de Luc Mattenberger intrigue.

A première vue, il semble pouvoir servir à tondre une pelouse, à tailler des haies,à dégager des feuilles mortes, ou, dans un autre registre, à propulser un individu dans les airs tel un apprenti astronaute. Mais aucune deces actions n’est possible, car ce moteur ne fait pas fonctionner de machines « utiles ». Cependant, ce n’est pas non plus un objet dit «inutile », qui, dans le champ de l’art, pourrait être qualifié simplement de sculpture. En effet, ce moteur deux temps peut tourner, c’est-à-dire produire du bruit, de l’odeur, des taches. Cet engin portatif consomme du carburant et pollue, pour rien, juste pour lui-même. Il s’agit d’un objet écologiquement et politiquement incorrect, qui, d’un point de vue artistique, propose une position aussi dérangeante que radicale sur le statut de la sculpture, de la (non-) performance et de la participation du spectateur.

Le Sac à dos à moteur ne revendique pas la beauté poétique des machines utopiques de Panamarenko, ne propose pas de critique consumériste à la manière des compressions de châssis d’un César et ne concède en rien à la fétichisation glamour des moteurs en bronze de Sylvie Fleury. Son apparence est également très éloignée des voitures utilisées comme constituants d’oeuvres par des artistes aussi différents qu’Olaf Breuning, Alain Bublex, Bertrand Lavier, Sarah Lucas, ou encore des chorégraphies de motards conçues par Lori Hertzberger, des installations de motos programmées de Fabien Giraud ou des courses de mini-motos organisées par Sophie Dejode et Bertrand Lacombe. Sac à dos à moteur est une oeuvre très directe, même si les éléments qui la constituent sont d’origines hybrides : le moteur de mini moto et les bretelles de débroussailleuse ont été achetées en pièces détachées, la position du pot d’échappement a été modifiée, le réservoir et le support métallique sur lequel sont fixés les différents éléments ont été fabriqués sur mesure. Bien que cet objet de proportion humaine soit présenté éteint et suspendu à un crochet, l’odeur de benzine et les taches de graisse au sol induisent une utilisation épisodique, qui cependant garde sa part de mystère. Une fois le moteur en marche, y a-t’il un danger pour les personnes aux alentours, ou pour le porteur du sac? Et ce dernier est-il un sauveteur potentiel ou, à l’inverse, une bombe humaine en puissance ? Il peut arriver que l’on croise un individu muni du Sac à dos à moteur pétaradant au milieu de la foule. Cette éventualité ne nous apportera toutefois pas toutes les réponses aux questions que cette oeuvre peut poser, car la puissance, voire la violence qui lui est inhérente, est avant tout contenue dans l’observation de l’objet « au repos ».

La Disqueuse à essence (2007) évoque également un usage potentiel et l’utilisation d’un carburant polluant. Par contre, cet objet, issu d’un magasin d’outillage sans avoir subi de modification, est inaccessible, du moins dans son état d’exposition, puisqu’il est enfermé dans une caisse en tôle zinguée, ajourée d’une baie vitrée. Sur le côté, un petit instrument métallique, rouge, évoque immédiatement la formule «briser la glace en cas d’urgence », que l’on associe à un geste de sauvetage en cas d’accident. Toutefois, le recours à cet acte d’urgence donnerait accès à une machine puissante normalement utilisée pour couper du métal ou ouvrir une paroi. Cet outil permettrait aussi bien de créer des accès pour sauver des vies, que de scier des barreaux pour s’échapper d’une prison ou encore, dans une situation plus extrême,de semer la terreur, à la manière d’un Jack Nicholson hystérique dans The Shining de Stanley Kubrick.

Le monde de Mattenberger est habité d’objets bizarres, prêts à bondir et à chambouler l’ordre des lieux dans lesquels ils apparaissent. Sur la simple pression d’un démarreur, son Excavatrice (2006) pourrait déchiqueter un parquet au moyen de ses lames acérées. De même,Baignoire à moteur hors bords (2006) peut provoquer, comme son titre l’indique, un remous tonitruant dans une banale baignoire remplie d’une eau imprégnée d’huile. Dans tous les cas, des effluves de pétrole donnent aux lieux où sont présentés ces oeuvres un caractère de garage aux antipodes du classique espace dévolu à l’art. Ces objets ne sont toutefois pas autonomes, comme paraît l’être le camion citerne – dont on ne voit jamais le conducteur – dans le film Duel de Steven Speilberg, ou la Plymouth 1957 dans Christine réalisé par John Carpenter. Au contraire, chez Mattenberger, bien que toutes ses oeuvres soient opérationnelles, la mise en fonction de la machine reste dela responsabilité de chacun.

Luc Mattenberger aime les moteurs et en connaît parfaitement le fonctionnement. Il est un sculpteur qui explique le mouvement synchrone des pistons, un peintre qui décrit les giclées de carburant sortant du pot d’échappement, un musicien qui analyse les explosions sonores du moteur, un parfumeur qui hume l’odeur de la vieille huile brûlée. Sa poétique toxique des moteurs à essence est autant motivée par une fascination pour des machines qui vont petit à petit disparaître, que par une mise en évidence de l’aspect dérisoire et potentiellement dangereux de cette fascination - tout spécialement masculine - qui contamine depuis plus d’un siècle une bonne partie de la population mondiale. Le rôle des machines actionnées par des moteurs à essence, avant de devenir un problème planétaire, a accompagné desépopées parmi les plus folles de la modernité : l’industrie, la voiture démocratisée, l’aviation, le commerce, les progrès technologiques, la conquête de l’espace, etc. Sans moralisme, l’art de Mattenberger interroge égallement la notion de pollution, non seulement dans la ville et la nature, mais aussi, dans un sens plus figuré, dans le monde de l’art. Un jour peut-être, sera-t-il également significatif au sein d’un patrimoine industriel et culturel révolu, celui qui, pour fonctionner, s’abreuvait à la station service ?

Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser, 2007.directeurs d’attitudes – espace d’arts contemporains, Genève / www.attitudes.ch La poésie toxique des moteurs à essence

Vue de l'exposition à l'espace kugler
Photographies : Patrick Gilliéron Lopreno

Luc Mattenberger est né en 1980 à Genève, vit et travaille à Genève
Suisse/Britannique

Contact
18 ch. des Perdrix CH-1228 Plan-les-Ouates luc.m@bluemail.ch +41 (0)76 537 46 67 www.lucmattenberger.com

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